Récits complets

Récits complets

Antonio Tabucchi

Je n’ai jamais plus relu mes recueils de nouvelles. Parce que je n’aime pas relire mes livres. Et parce qu’ils me donnent la mélancolie. Alors, je me pose la question : ces personnages, ces créatures qui m’ont visité, où se trouvent-ils à présent ? je l’ignore. Peut-être dans une vieille mansarde de la périphérie du monde, ou dans un trou de serrure rouillée, ou dans une quelconque portion du ciel, ou peut-être sur un nuage blanc et léger qui traverse le ciel par une matinée de juin. Et voilà que mon ami Christian Bourgois m’invite à réfléchir sur les livres qui ont fait partie de ma vie. Comment dire non à une personne aussi gentille que Christian ? « Écoute, Christian, lui ai-je dit, je ne sais pas écrire sur moi-même, je suis incapable de réfléchir, je ne tiendrai jamais un journal, je suis un homme anarchique et irréfléchi. » Et lui, il m’a dit : « Eh bien, écris une note irréfléchie. » C’est ainsi que j’écris ces quelques lignes. Combien de personnes sommes-nous dans la vie qu’il nous est donné de vivre ? Beaucoup. Je crois, beaucoup. Il suffit de voir les photographies de nos époques passées, ces photographies qui ont tant fait méditer Roland Barthes. Et donc, ce moi d’aujourd’hui est-il le moi que je fus ? le moi qui pensait aux malentendus (équivoques) baroques qui guident le monde (petits malentendus sans importance), le moi qui pensait à l’envers de l’existence et à ses zones obscures (le jeu de l’envers), le moi qui regardait le monde avec des lunettes fumées (l’ange noir) ? images fugaces que la littérature fixe à jamais, comme les plaques photographiques. Des récits contre le malaise de la vie, contre la difficulté d’être, contre le temps. Parce que, comme le disait un grand écrivain que j’admire, Julio Cortázar, l’écrivain de nouvelles sait que le temps n’est pas son ami.

Traduit de l’italien par Lise Chapuis, Martine Dejardin.

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